Preuve déloyale ou illicite : peut-on l'utiliser dans un procès civil

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M. [B] a été engagé à compter du 14 octobre 2013 en qualité de responsable commercial « grands comptes » par la société Abaque bâtiment services (la société ABS). Le 28 septembre 2016, au terme d'un entretien informel, il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, lequel s'est tenu le 7 octobre 2016. Le 16 octobre 2016, il a été licencié pour faute grave.

Le salarié a saisi la justice afin de contester son licenciement pour faute grave.

Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied.

Cet enregistrement avait été réalisé à l’insu de l’employé.

La cour d’appel a déclaré cette preuve irrecevable, car l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine.

Aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la cour d’appel a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse. 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.


POSITION DE LA COUR DE CASSATION AVANT CETTE DECISION

Afin de garantir au justiciable son droit d’accès au juge, la Cour de cassation a consacré un droit « à la preuve », c’est-à-dire la possibilité donnée aux parties à un procès de présenter leurs preuves.

La promotion d’un tel principe s’inscrit dans le souci de tenir compte des difficultés probatoires auxquelles peuvent être confrontés les justiciables pour faire la preuve de leurs droits. 

Toutefois, la Cour de cassation, dans le souci de garantir l’éthique du débat judiciaire, a fixé des limites à ce principe en consacrant en 2011, par un arrêt d’assemblée plénière, un principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Ainsi, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’une preuve est obtenue de manière déloyale, c’est-à-dire lorsqu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de ce type de preuve.


REVIREMENT DE JURISPRUDENCE A PARTIR DE CETTE DECISION

La Cour de cassation admet que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.)

Cette solution constitue un revirement de jurisprudence.

Elle s’inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse.

La décision de la cour d’appel, qui avait écarté les enregistrements clandestins au motif qu’ils avaient été obtenus de manière déloyale, est censurée.

L’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel. Celle-ci devra vérifier d’une part, que les enregistrements étaient indispensables pour prouver la faute grave du salarié, d’autre part, que l’utilisation de ces enregistrements réalisés à l’insu du salarié ne portent pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.  

Source: communiqué de la Cour de cassation du 22 décembre 2023 

Arrêt : Cour de cassation - Assemblée Plénière 22 décembre 2023 n° 20-20.648


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